Le retail face au covid-19 : et maintenant ? [Tribune]
Le PIB de la France qui devrait reculer de 20 % au 2e trimestre, une chute historique de 17,9% de la consommation des ménages en mars, les chiffres donnent le vertige. La tempête que nous traversons a considérablement bouleversé les habitudes de consommation des Français et bousculé le commerce traditionnel. Le secteur en France compte 685 900 entreprises (commerce de détail et de gros) et représente 2,7 millions d’emplois en 2017 (données INSEE). Déjà très fragilisé par la crise des gilets jaunes et les dernières grèves contre la réforme des retraites, le secteur accuse le coup.
Outre la fermeture des commerces dits «non-essentiels» pendant le confinement, la crise sanitaire a accéléré la chute de la fréquentation des hypermarchés où les Français réalisaient jusqu’alors une part importante de leurs achats. Cette désaffection a largement profité aux supermarchés de proximité qui ont enregistré en avril une augmentation de leur chiffre d’affaires de 12,3 % à comparer aux – 6,8 % des hypers (données Banque de France). L’avance technologique des entreprises a été décisive durant cette période. Chez groupe Casino par exemple, le site Monoprix.fr a accueilli + 900 % d’inscrits, le drive et la livraison à domicile sont passés de 7 à 10 % du volume des ventes ! En quelques jours, pour les 25 % de la clientèle qui était déjà digitalisée, le recentrage sur le online s’est fait sans encombres.
Une nécessaire mutation vers de nouveaux services
Au-delà de cette redistribution des parts du marché alimentaire, la période de confinement a contraint certains distributeurs à digitaliser leur modèle à marche forcée et à développer des circuits de distribution alternatifs « sans contact ». Cela se traduit par l’adoption du drive, de la livraison à domicile et un développement massif du click & collect. Ces pratiques se sont étendues à d’autres secteurs tels que le bricolage (Castorama, Leroy-Merlin), l’équipement de la maison (Darty, Boulanger, But) ou bien encore le jouet (King Jouet). D’autres entreprises ont adapté leur modèle à cette situation exceptionnelle notamment le secteur de la restauration par l’utilisation de plateformes de livraison de type Uber Eats ou Deliveroo. Résultat, on estime à 10% la part des Français qui aura utilisé au moins une fois ces canaux digitaux pendant la période de confinement. Post-Covid, l’un des objectifs pour les distributeurs sera de fidéliser ces nouveaux clients car nombre d’entre eux retourneront vers leurs magasins habituels.
Il est important de souligner que l'e-commerce aura permis de manière incontestable pour beaucoup d’enseignes de limiter l’impact de la fermeture de leurs magasins physiques. Jouer les Cassandre en annonçant la fin du offline est un non-sens. D’après les enquêtes et études de la FEVAD, les sites de vente en ligne des enseignes qui disposent également de magasins enregistrent un taux de croissance moyen supérieur à 50%, contrairement au chiffre d’affaires moyen des pure-players qui est en recul de -1% sur un an.
Covid ou l'effet accélérateur de tendance
Il n’en reste pas moins que cette crise va agir comme un accélérateur des difficultés auxquelles étaient confrontées certaines enseignes déjà fragilisées par les conséquences de la crise des subprimes de 2007 et des derniers mouvements sociaux. Des enseignes telles que CAMAIEU, ALINEA, LA HALLE ou encore ANDRE sont actuellement en cessation de paiements. Le malheur des uns fait le bonheur des autres car nous allons assister dans les prochains mois à un phénomène de concentration encore jamais vu à ce jour dans le monde de la distribution française.
Côté réouverture des magasins en France, les zones commerciales de périphérie font figure de locomotive avec des performances moyennes de + 50 % à périmètre constant pour certaines enseignes, des résultats à l’opposé des centres commerciaux et des centres-villes qui sont respectivement à – 5 % et – 10 %. Paris, sans ses touristes, est à – 30 %.
Post-Covid, la reprise d’activité s’accompagnera d’une accélération de la digitalisation des réseaux de distribution : généralisation de la livraison à domicile et du click & collect, déploiement massif des drives et des consignes. Mais cela suppose au préalable une optimisation de la chaîne logistique qui devrait être facilitée par l’automatisation des entrepôts. En Chine, la plateforme de commerce en ligne JD.com a ouvert en 2017 une plateforme logistique de 40 000 m² entièrement automatisée capable de préparer plus de 200 000 paquets par jour avec seulement 4 employés.
Rapprocher les marchandises
Le rapprochement des centres de stockage ou de préparation au plus près des consommateurs est un enjeu majeur pour les distributeurs, car la livraison le jour même devrait devenir à très court terme un standard. Le développement de cette logistique de proximité passera par des solutions innovantes telles que la création d’immeubles mixtes intégrant en amont du projet par exemple une composante logistique urbaine au sein d’un immeuble de bureaux. Les concepts de « dark store » et de « dark kitchen » qui sont des lieux uniquement dédiés à la livraison vont également se développer.
L’impact pandémique va redéfinir la notion même du commerce par l’accélération de la convergence du offline-to-online qui est déjà une réalité en Chine. A travers le paiement sans contact, la traçabilité des produits de qualité et au meilleur prix et l’émergence de nouveaux services, l’expérience d’achat ne cesse d’évoluer. Le magasin devient également un centre logistique pour livrer localement les clients.
Très durement impactés par la crise les commerçants indépendants devraient également faire leur révolution digitale. Il s’agit peut-être là d’une convergence nécessaire pour sauver leur modèle.
Tribune d'experts - LSA